3. LA FEMME ET LA GUERRE EN RDC
3.1. DES CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
La guerre
actuelle qui, de l'avis de l'organisme de secours International Rescue Committee (IRC), a fait directement ou indirectement
plus de deux millions de morts en RDC affecte de manière particulière la femme.
Elle a
perdu mari, maison, biens, enfants, positions sociales. Elle vit en dehors de son milieu naturel dans des camps de réfugiés,
des centres des déplacés de guerre ou dans les forêts. Son intimité est constamment violée. Elle est humiliée car vivant dans
la dépendance des aides humanitaires hypothétiques ou familiales pour sa survie et celle de toute sa progéniture dont elle
reste généralement la seule responsable et parfois dans le dénuement total.
Dans une
enquête sur les conséquences de la guerre sur les femmes de Shabunda au Sud Kivu, Gertrude Mudekereza de PAM/Bukavu écrit
ce qui suit :
« De la
guerre qui se déroule dans les brousses congolaises, la femme en porte des cicatrices encore saignantes. Si elle n'est pas
violée, elle est séparée de son mari, qui a fui ou s'est engagé dans les bandes armées. La pauvre femme est aussi séparée
de ses fils qui, emportés également par les bandes armées ne reviendront peut-être plus jamais à la maison. Ses filles sont
obligées de contracter des mariages précoces pour que leurs ignobles tortionnaires n'aillent pas jouir de leur virginité car,
pour les mères, mieux vaut cela que de voir leurs filles enlevées vers les brousses inconnues. Qui peut apporter la consolation
à ces mères enchagrinées, qui pleurent leurs enfants quoique vivantes. Les filles, en plus de tout cela sont une main d'œuvre
facile pour les travaux serviles et viles : elles sont enlevées pour tamiser les minerais en faveur des exploitants illégaux,
pour le transport des munitions, pour faire la cuisine pour des bourreaux qui finissent par abuser d'elles, pour servir d'espionne... Non
préparée au rôle de chef de ménage, la femme abandonnée perd patience et se remarie pour s'assurer une protection physique.
D'autres encore pour une sécurité économique se vendent, se prostituent pour nourrir les enfants
ou subvenir à l'un ou l'autre besoin de la famille ... Bon nombre de femmes abandonnées finissent par développer des
maladies psychosomatiques (estomac, cardiaque) à cause de la persistance du stress de la guerre... |
|
Dans son
rapport intitulé « Notre situation au Kivu particulièrement au Sud Kivu au jour le jour » daté de Bukavu le 10 septembre
2001, le Centre Olame constate que la multiplication des cas de viols enregistrés depuis le mois de mars 2001, du côté de
Nyatende-Muku-Kamisimbi-Cidorho-Cimpwiji, est à la base de l'exode massive des populations vers les zones urbaines :
« Ces
viols se sont pratiqués systématiquement village par village, ce qui a provoqué le déplacement des familles vers les centres
et banlieue de la ville fuyant les atrocités... Du côté de Kajeje, Murhessa autour du parc national de Kahuzi, c'est
régulièrement que les jeunes femmes et filles sont violées...» (19). |
|
D'après
une étude menée par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), plus de 80 % des réfugiés et déplacés en temps de conflits
sont des femmes et des enfants (20). Cette situation s'explique par l'accroissement de l'insécurité et la peur des attaques qui poussent
les femmes à prendre le chemin de l'exode.
Ainsi,
de nombreux massacres perpétrés dans les zones de conflits ont amené des femmes paysannes et des personnes à charge à se réfugier
dans des zones présentant moins de turbulence soit en forêts, soit en villes, soit à l'étranger. Plus de 2,5 millions de personnes
survivent dans cette situation d'après des données rendues publiques en avril 2001 par le Bureau de la coordination des affaires
humanitaires de l'ONU (OCHA) (21).
La femme
congolaise vit un véritable drame car elle voit la violence physique et morale des seigneurs de guerre s'exercer sur elle
en termes de viol, massacre, assassinat, arrestation arbitraire et détention illégale, de coups et blessures, de prostitution
forcée, d'esclavage sexuel.
3.2. DES ASSASSINATS ET DES MASSACRES
Depuis
le début de la guerre plusieurs massacres et assassinats ont été commis spécialement par les troupes du Rwanda, de l'Ouganda
et du Burundi ainsi que leurs alliés rebelles congolais et les milices associées [Lire tableaux 1, 6, 7, 8 , 9, 10, 11, 12,
13, 14].
Des massacres
à une échelle réduite ont été commis par des groupes armés qui sont présents à l'Est du pays (Maï maï, ex. FAR, milices Interahamwe... ).
Ces massacres
ont touché plus les femmes, les enfants et les vieillards qui, lors des conflits, restent dans les villages; les hommes valides
ayant préféré se mettre à l'abri ou prendre les armes.
Ainsi,
pour le seul massacre de Makobola, plus de 317 femmes et jeunes filles sur plus de 800 morts ont été répertoriées [Tableau
5].
Plus grave,
des femmes sont même enterrées vivantes en vue de semer la terreur et d'extorquer de l'argent aux familles des victimes. Ces
atrocités étaient généralement commises dans le territoire de Mwenga (Sud Kivu) et ordonnées par le Commandant Franck Kasereka,
qui après avoir été arrêté par le RCD/Goma, s'évadera de la prison sans qu'il soit jugé [Tableau 8].
Voici le
récit fait à Human Rights Watch par une femme, témoin d'une des scènes macabres :
« Le
lendemain, on a entendu des coups de feu provenant de l'endroit où se trouvaient les femmes. Mon mari, qui est soldat [RCD],
m'a dit qu'il allait voir s'ils étaient en train de tuer les femmes. Je l'ai accompagné et ai vu ce qui se passait.
Ils avaient retiré les femmes des trous et, après les avoir battues brutalement, ils les avaient
déshabillées. Ensuite, ils ont pris cinq bâtons et ont violé les femmes avec les bâtons. Ils en ont mis deux dans un trou
et trois dans un autre et les ont recouvertes de terre, mais elles étaient encore vivantes »
Lors
de la guerre de Kisangani, les troupes ougandaises ont ouvert le feu sur une embarcation
transportant des femmes et des enfants fuyant la guerre, faisant une trentaine de morts et n'apportant aucun recours aux survivants »
(23). |
|
Dans son
article publié dans la revue Congo-Afrique, intitulé « La justice militaire dans le système judiciaire congolais, quelle
réforme? » Le professeur Akele Adau cite le cas d'une femme assassinée par son mari en plein tribunal :
« Dans
une affaire jugée par la Cour d'Ordre militaire (COM) à Mbuji Mayi, vers la fin de l'année 2000, un militaire mécontent de
l'action en divorce initiée par sa femme, abat celle-ci avec son arme dans les locaux du tribunal de paix de Mbuji Mayi. Une
balle perdue atteint et blesse grièvement une autre femme dans la région génitale. Alors que le mari « uxoricide »
est poursuivi devant la COM pour assassinat, les militaires de la garnison mécontents ont menacé de se livrer à des actes
de violence et de pillage dans la ville si l'amant de la victime n'est pas lui aussi poursuivi.
(... ) L'amant, un civil « Baba Apostolo » sera poursuivi avec le mari devant la COM et condamné à 15 ans de servitude
pénale pour incitation de militaires à commettre des actions contraires au devoir et à la discipline militaire »
(24). |
|
3.3. DES VIOLS, DE L'ESCLAVAGE SEXUEL,
DES ENLÈVEMENTS DES FEMMES
Les viols
des femmes continuent dans tous les fronts. La pratique de viol, comme arme de guerre, s'est généralisée pendant ce conflit
[Lire Tableaux 2 et 3].
Dans un
rapport conjoint présenté par trois ONG britanniques (Oxfam, Save the Children, Christian Aid) en août 2001, on peut lire
comme suit les conséquences des viols commis par les militaires sur des femmes congolaises :
« En
plus des traumatismes mentaux et physiques et le risque de tomber enceinte, les victimes des viols sont particulièrement vulnérables
à contacter le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), à la suite de déchirures éventuelles subies lors des viols. Il y
a six armées étrangères sur le sol congolais et en moyenne les taux d'infection des militaires peuvent être quatre fois plus
élevés que ceux observés chez les civils. L'augmentation du taux de prévalence du VIH/sida chez les Congolais a été décrite
comme une bombe à retardement » . |
|
Compte
tenu du caractère particulier des actes de violences sexuelles, les femmes qui ont subi le viol sont souvent « réticentes
à parler de ce qu'elles ont vécu, par crainte de revivre en paroles le traumatisme qu'elles ont subi, ou par crainte de l'opprobre
attaché au viol, mais aussi par peur des représailles dont elles ou leurs proches pourraient faire l'objet. C'est pourquoi
le nombre des témoignages recueillis, même par des tiers, est bien inférieur au nombre de viols commis » (26);.
Dans le
territoire sous contrôle gouvernemental, des femmes ont été violées massivement dans le Bas-Congo par les soldats angolais
venus secourir Kinshasa en août 1998. Plusieurs cas de viols ont été signalés à Kinshasa et même aux abords du Palais de marbre,
résidence officielle du chef de l'état.
Les cas
suivants peuvent être cités :
Le 20/02/2000
vers 19 heures, à proximité de l'ambassade du Congo à Kinshasa (à 300 mètres du palais présidentiel), une jeune fille habitant
le quartier « Ma Campagne » a été violée par des militaires du Groupe spécial de la sécurité présidentielle (GSSP),
sous prétexte qu'elle portait un pantalon.
En février
2001, après l'arrestation du commandant Kandolo Jean Calvin dans l'affaire de la tentative d'assassinat du chef de l'état
Joseph Kabila, les éléments du GSSP commis à la garde de sa résidence (de Kandolo) ont violé Mlle Vicky, une de ses parentés
de passage. Les soldats de la justice militaire dépêchés pour procéder à l'arrestation des coupables se sont butté à la résistance
et au refus des camarades des violeurs logés à l'immeuble Moleka non loin du palais présidentiel.
Le rapport
des enquêtes de M. Gawiya estime à 14% le nombre des femmes interrogées victimes de viols dans le territoire sous contrôle
gouvernemental.
Dans son
rapport général publié à l'issu du Forum national des organisations non gouvernementales des droits de l'homme (ONGDH) de
la RDC, le Réseau national des ONG des droits de l'homme au Congo (RENADHOC) relève des cas d'esclavage sexuel en ces termes :
« Ailleurs
ce que l'on ne peut nommer autrement qu'un esclavage féminin a été signalé à Lwiza dans la province du Kasaï occidental du
fait des soldats des FAC. Aucune précaution n'étant prise contre les MST, y compris le VIH, celles-ci continuent à progresser
non seulement chez les femmes adultes, mais aussi et surtout chez les enfants nés dans les circonstances ci-haut décrites »(27). |
|
Pour sa
part, l'enquête nationale sur les conséquences de la guerre menée par la CNPD fait ressortir les préoccupations de la population
du Kasaï occidental qui « dénonce une situation d'inceste généralisée du fait que les mères et leurs filles sont souvent
violées par les mêmes hommes, militaires des Forces armées congolaises (FAC) et alliés et les Interahamwe. Or les coutumes
kasaïennes sont formelles à ce sujet. Les familles vivent dans l'attente des morts en cascade dues à ces pratiques incestueuses
qui sont une véritable bombe à retardement, à cause des effets négatifs qui en découlent inéluctablement » (28).
Nos sources
locales font état de la situation dramatique que vivent les habitants du groupement de Bulembu (Kasaï occidental) où les éléments
des FAC et alliés soumettent la population, spécialement les femmes, à des corvées quotidiennes d'eau, de bois de chauffage
et de préparation des rations alimentaires.
De même
les femmes mariées sont harcelées et contraintes aux relations sexuelles par des soldats. Une affluence inhabituelle des femmes
venues d'autres contrées et vivant parfois de force avec les militaires y est observée.
Dans les
territoires occupés, des viols des femmes et des jeunes filles se sont généralisés tant en milieu urbain que dans les centres
ruraux.
Ces pratiques
généralisées sont connues à Kisangani, sous les noms évocateurs de « phénomènes Kigali » ou « phénomènes Kampala »
identifiés aux dénominations des capitales des pays dont les violateurs sont originaires.
Un groupe
de défense des droits de la femme a répertorié 115 viols commis entre avril et juillet 1999 dans les régions de Katana et
de Kalehe (Sud Kivu).
La projection
de ce chiffre sur l'étendue des territoires occupés soit plus de 1 000 000 de km2 et la durée
de la guerre (trois ans), donne la mesure du nombre des femmes qui sont affectées par ces pratiques dans cette partie du pays.
Ces actes
de violences sexuelles sont commis par tous les belligérants à l'Est de la RDC : Armée patriotique rwandaise (APR), Ugandan
People's Defense Forces (UPDF), l'Armée burundaise, rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), Maï maï, ex-FAR,
Interahamwe, forces d'autodéfense civile, autres groupes armés étrangers.
Le viol
des femmes mariées est utilisé comme une arme contre les maris soupçonnés de collaborer avec les Maï maï.
En outre,
les femmes qui ont été exécutées illégalement auraient, pour beaucoup d'entre elles, été retrouvées nues et présentant des
marques indiquant qu'elles avaient été violées. A Kindu et dans d'autres parties de la province de Maniema, les combattants
se seraient livrés à des viols de façon systématique, surtout entre novembre 1998 et la mi-1999. Parmi les victimes, il y
aurait eu des femmes soignées à l'hôpital de Kindu. Dans un premier temps, les auteurs de ces viols ont été désignés comme
étant des soldats de l'APR et de l'UPDF, et par la suite, des membres congolais du RCD. Certains combattants se seraient vantés
d'avoir infecté les femmes qu'ils avaient violées avec le virus du sida.
Pour leur
part, les combattants Maï maï commettent de nombreux viols, bien que nombre d'entre eux et de leurs chefs le nient. Ils affirment
que les pratiques de sorcellerie qu'ils utilisent pour se rendre invisibles n'auraient aucun effet s'ils violaient des femmes.
Amnesty
International et d'autres organisations des droits de l'homme ont toutefois reçu de nombreuses informations faisant état de
femmes violées après que les Maï maï eurent tué leur mari. Il s'agit là d'une pratique qui vise manifestement à punir et humilier
des personnes soupçonnées d'être favorables au RCD et à ses alliés, ou bien de ne pas soutenir les Maï maï. Les violeurs laisseraient
derrière eux les femmes mariées qu'ils ont violées, alors qu'ils contraindraient souvent les femmes non mariées à les suivre
afin d'en faire leurs esclaves sexuelles (29).
Les cas
suivants sont illustratifs :
Le 5 juillet
1999, des combattants Hutu ont investi la localité de Katana (Kabare) pillant et violant des femmes. Voici le témoignage d'une
des victimes :
« Quelqu'un
m'appelée. J'avais encore mon enfant sur le dos. Celui qui m'avait appelée m'a dit d'enlever mon enfant de mon dos et de me
coucher. J'ai refusé. Il m'a forcé à le supplier, à me mettre à genoux et à le supplier encore, et il est parti. Celui qui
est arrivé après était moins compréhensif. Il m'a violé. C'était un barbare. Ce n'était pas un humain. Il a jeté mon enfant
par terre, j'ai crié et il m'a étranglé. Il a menacé de tuer mon enfant avec son fusil. J'ai lutté mais je n'avais plus la
force de résister ; mon enfant de trois ans était là à côté de moi. Après une heure, l'homme est parti. Je ne pouvais
pas me lever. J'avais honte pour toute ma famille. (... ) Cette nuit-là, beaucoup de femmes ont été violées. Dans chaque
maison, chaque femme, peut-être 200 femmes au total. Mais beaucoup de femmes ont trop honte pour le dire » (30). |
|
Certaines
femmes auraient été victimes de viols collectifs commis par des combattants du RCD. Ainsi, Mulubi Mateso aurait été violée
le 29 avril 1999 par dix combattants du RCD qui l'avaient trouvée en train de travailler dans son jardin, à Makobola. Les
soldats l'auraient laissée pour morte; elle a dû, par la suite, être conduite dans un centre médical de Kabimba, près d'Uvira,
pour y être soignée. Une autre femme, Anne-Marie Kisesa, auraient été violée le 3 mai 1999 par trois combattants du RCD à
Kiliba. Un quatrième soldat, auquel elle opposait une résistance, lui aurait donné un coup de couteau dans la poitrine (31).
Un autre
cas est celui de Kasika, où plusieurs femmes furent violées lors du massacre qui coûta la vie à plus de 1 316 personnes dont
Mwami K. Mubeza, chef de la collectivité-chefferie de Lwindi et le curé de la paroisse, l'abbé Stanislas Wabula Kombe.
A 9 heures
(du matin) le 24/08/1998), les femmes Njabuka, Maria Wa Minali, Kasibi Jeanne, Nabintu Mtenga, Ntegesa Chidunda, M'Munyanga
et M'Chirera qui étaient en train de cultiver dans leurs champs se trouvant le long de la route Mimaladjala ont vu des soldats
(de l'APR) venir les prendre de force, les violer pour finir par être assassinées au moyen d'armes blanches. Ces femmes ont
été éventrées, leurs yeux parfois arrachés, leurs cadavres abandonnés nus sur la route ..
M.
Ng. Mariée... Shabunda le 9/5/2001. J'habite Matili et je venais à Shabunda pour une visite familiale. Nous étions six
femmes. Quelque part sur notre route, des militaires du RCD nous ont demandé de nous arrêter. Nous avons reçu l'ordre de les
suivre dans la brousse. Non loin de la route, ils nous ont demandé de nous déshabiller et ils ont couché avec nous en plein
air comme des chiennes. Chacune de nous a reçu au moins deux hommes. Ils nous ont tripotées pendant deux jours pour finir
par nous chasser. Je n'arrive pas encore à réaliser ce qui m'est arrivé... Je peux peut-être
rentrer chez moi et rencontrer mon mari. Je vais essayer de lui expliquer ce qui m'est arrivé. Si, lui arrive à me croire,
qu'en sera-t-il de sa famille ? J'ai essayé de dire aux militaires que j'étais mariée. Les militaires ne comprennent
pas que mon mari a versé sa dot ! Non ! J'ai l'impression que je vais devenir folle! » (33). |
|
Enfin,
le Rapporteur spécial pour les droits de l'homme en RDC, dans son rapport de 1999, cite le cas d'esclavage sexuel dont plusieurs
femmes et jeunes filles ont été victimes de la part des éléments du RCD et de l'APR le 3 août 1998 à Goma :
« Les
hommes et les jeunes garçons d'un groupe de 120 personnes qui s'étaient réfugiés dans les locaux de Caritas du diocèse de
Goma, après le déclenchement de la rébellion et qui venaient de la zone frontalière de Kibumba ont été séparés des 76 femmes
et conduits à une destination inconnue. Les femmes et les enfants étaient conduits dans un hangar en face du bureau diocésain
pour le développement où ils seront abusés sexuellement de façon répétée pendant plusieurs
jours » (34). |
|
Dans les
territoires occupés, plusieurs cas d'enlèvements des femmes et jeunes filles sont régulièrement enregistrés par les ONG à
destination du Rwanda et de l'Ouganda. Ces femmes sont généralement utilisées soit comme esclaves sexuels ou livrées à la
prostitution, soit comme enfants soldats.
D'autres
femmes congolaises (épouses, concubines, ou amies) qui ont suivi les soldats rwandais ou ougandais dans leur pays d'origine
sont abandonnées et livrées à la prostitution ou à la mendicité.
L'enquête
précitée menée par la CNPD en RDC dénonce également « la déportation des belles femmes kasaïennes vers les pays agresseurs »
(35).
Dans le
même registre, le rapport du Département d'état américain sur la traite des personnes rendu public le 12 juillet 2001 classe
la RDC dans la catégorie III et relève que « la RDC est à l'origine d'une importante traite des femmes à destination
de l'Europe, principalement la France et la Belgique, à des fins d'exploitation sexuelle... Des soldats ougandais et
rwandais ainsi que des rebelles du RCD ont profité des raids qu'ils ont effectués sur des villages congolais pour enlever
de nombreuses femmes et filles. De plus des insurgés des pays voisins ont enlevé de nombreux enfants congolais afin de les
réduire en esclavage ou de les enrôler dans l'armée » (36).
Selon ce
rapport, la majeure partie des activités liées à la traite des êtres humains a lieu dans des zones occupées par des rebelles
ou des armées étrangères.
Dans les
zones rurales du Nord Kivu, chaque semaine des « Interahawme» (dit-on) pillent les villages, prennent vaches, chèvres,
poules, haricots, manioc... et filles qu'ils amènent dans la forêt. Les jeunes filles servent d'esclaves sexuelles.
Quand ils
ont fini leur provision, ils vont en chercher dans les villages environnants ou sur la route Kalonge-Murhessa, surtout le
jour du marché, ils relâchent les jeunes filles qu'ils avaient prises et reprennent d'autres qu'ils amènent dans la forêt...
C'est ainsi que des jeunes filles sont enlevées chaque semaine... (37).
« Madame E.B, âgée de 28 ans et mère de quatre enfants, Shabunda 9/5/2001. Nous habitions Kabakita, vers Nyalubwe
à 5 km au Sud de Shabunda ville. Le jeudi 13/7/2000 à 20 heures, mes coépouses, nos 13 enfants et moi avons été sommés par
les Maï maï à faire nos bagages et à les suivre. Notre mari s'est sauvé. Nous sommes allés dans la forêt où était leur état
major de 10 personnes. Notre mari était accusé d'espionner en faveur des tutsis. Ces 10 hommes couchaient avec nous dans la
cour au vue de nos enfants. Et cela chaque jour. Ils n'épargnaient même pas l'une des femmes de
mon mari qui était grosse. C'est inimaginable ! L'on demandait parfois à mon fils âgé de 14 ans de venir voir par où
il était sorti. Il était obligé de me tenir le bras et la jambe pendant qu'un des bourreaux me montait dessus. Mon fils et
moi finissions par pleurer quand nos regards se croisaient. C'est seulement au bout de huit mois que nous avons eu la chance
de sortir de l'esclavage... Quand nous sommes arrivés ici, ma coépouse a accouché d'un garçon... notre mari nous
a offert l'asile. Nous n'entretenons pas de rapports sexuels par peur de contamination. Je crois
qu'il a raison... » |
|
Dans le
Nord-Katanga, des pygmées (chasseurs traditionnels armés des flèches ou simba moto) ont réduit en esclavage les femmes bantoues
qui s'étaient réfugiées avec leur mari et familles dans les villages environnant la localité de Kalemie, au tout début de
la guerre vers fin 1998.
Cette réaction
est un prétexte avancé par les guerriers-pygmées contre le traitement discriminatoire (travaux domestiques, injures, dénigrements,... )
qu'ils ont toujours enduré en milieux urbains de la part des bantous qui les considèrent comme des sous-hommes et les traitent
d'esclaves.
3.4. DES FEMMES DÉTENUES
Dans des
centres de détention de l'armée et des services de sécurité, les femmes sont souvent l'objet des violences sexuelles [Lire
Tableaux 4, 7, et 8].
D'après
de nombreuses plaintes, la pratique du viol, continue dans les prisons et dans les camps militaires où les victimes sont parfois
des petites filles. » affirme le Rapporteur spécial Roberto Garreton dans son rapport du 8 février 1999 sur la situation
des droits de l'homme en RDC. (39)
A Kinshasa,
le cas le plus illustratif est celui de Jeannine Bouchez Mwayuma, femme originaire de Bukavu arrêtée le 28 décembre 1998 et
détenue dans les locaux des divers services de sécurité :
« Elle
était accusée d'avoir des contacts avec l'opposition armée. Cette femme était venue chercher refuge à Kinshasa pour échapper
aux combats dans l'est de la RDC. Durant sa détention, Jeannine Bouchez Mwayuma était fouettée deux fois le matin et deux
fois le soir. Elle était en outre fréquemment menacée de mort, le châtiment de ceux qui, selon les termes des membres du Conseil
national de sécurité (CNS) « trahissaient le pays ». Elle a été maintenue dans une cellule du CNS jusqu'au
6 janvier 1999, date à laquelle un officier de l'armée est venu la chercher pour la conduire dans
l'immeuble du Groupe Litho Moboti (GLM), où elle a été sauvagement battue, y compris à coups de tuyau de métal. L'officier
et plusieurs autres soldats l'ont emmenée dans un hôtel du quartier de Kintambo à Kinshasa, où ils l'ont interrogée et violée.
Elle a été transférée par la suite dans le centre de détention de la Détection militaire des activités anti-patrie (DEMIAP),
d'où elle aurait été à plusieurs reprises emmenée par un haut responsable de l'armée dans différents
hôtels de la capitale pour y être violée. Le 16 février 1999, Jeannine Bouchez Mwayuma a été transférée dans le Centre pénitentiaire
et de rééducation de Kinshasa (CPRK). Le lendemain, elle comparaissait devant la COM pour y répondre « d'atteinte
à la sûreté de l'état ». Son procès n'était pas achevé lorsqu'elle s'est vu accorder, le 9 mars 2000, une mise en liberté
provisoire, conséquence de l'amnistie proclamée par le président (Laurent Désirée Kabila) en février pour les personnes accusées ou coupables d'infractions politiques. Aux termes de l'ordonnance de mise en liberté, Jeannine
Bouchez Mwayuma devait rester à Kinshasa, se présenter chaque lundi et chaque vendredi devant la COM, et ne jamais être vue
dans un port ou un aéroport. |
|
Dans les
territoires occupés, les personnes arrêtées sont souvent soumises à toute sorte de torture au cours de leur détention notamment
le recours au viol.
Les femmes
ont affirmé avoir été violées et abusées sexuellement pendant leur détention dans les zones urbaines contrôlées par le RCD
et l'APR. L'un des centres de détention non officiels le plus tristement célèbre pour les tortures qui s'y pratiquent se trouve
à Goma : il est connu sous le nom de « Chien méchant ».
Ainsi,
des prisonnières sont souvent impunément violées soit par les gardiens, soit par d'autres détenus, débouchant pour certaines
femmes à des grossesses non désirées.
Dans son rapport daté du 1er février 2001, le Rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l'homme en RDC signale l'arrestation
des militantes du Programme d'appui aux initiatives féminines (PAIF) : « le viol et le tabassage des lycéennes arrêtées
pour avoir réclamé la validation de leurs diplômes en RDC et la persistance des viols des femmes détenues en particulier dans
le lieu de détention appelé « Chien méchant ». Les femmes qui résistent sont rouées des coups.
On a en outre dénoncé le viol des femmes par des soldats ougandais à Butembo en particulier dans les quartiers Kihinga, Rwenda,
Isango, Mutiri, Mukuna et Butalirya ».
Le cas
suivant peut être également épinglé : Francine Ngoy a été arrêtée à Goma le 27 mai 1999 et battue à de « nombreuses
reprises par des membres de l'APR alors qu'elle était détenue dans le centre de détention baptisé Chien méchant. Cette jeune
femme de 22 ans était accusée de collaboration avec le gouvernement du président Kabila. Certains, parmi les 19 hommes et
deux femmes enfermées en même temps qu'elle dans le centre de détention, auraient été soumis à des décharges électriques.
Mme Ngoy a été transférée en octobre à Gisenyi, dans le Nord-ouest du Rwanda, où elle était détenue par l'armée. Elle a été
relâchée en novembre et autorisée à retourner à Goma. Trois jours plus tard, elle a été de nouveau arrêtée puis détenue dans
les locaux du service de sécurité militaire connu sous le nom de B2. Au bout d'une semaine, on l'a transférée à Gisenyi et
placée dans le centre de détention militaire de « MILPOC » où elle est restée jusqu'en janvier 2000, date à laquelle
elle a été libérée. Revenue à Goma, elle a continué d'être en butte au harcèlement des soldats de l'APR et du RCD. En février,
elle a fui la région est de la RDC » (42).
3.5. DES ENFANTS SOLDATS
Plusieurs
filles ont été incorporées au sein des troupes des armées régulières et des groupes combattants en RDC. Elles sont affectées
de facto à des tâches particulières notamment en tant que « nattes » des combattants.
Le Collectif
d'actions pour le développement des droits de l'homme (CADDHOM) cite à ce sujet le cas de 165 enfants soldats de l'unité « Spécial
Cohi » (entraînés en Ouganda pour exterminer les populations de l'ethnie Lendu dans l'Ituri) qui en date du 22 février
2001 ont été récupérés par l'UNICEF et gardés au camps de transit de Kayandongo (district de Masindi) et parmi lesquels figuraient
deux filles atteintes de sida et d'autres de MST telles le gonocoque et la syphilis à la suite des relations sexuelles qu'elles
ont eues avec leurs moniteurs ougandais (43).
Selon les
trois ONG britanniques oeuvrant en RDC, « Bien que quelques unes ont suivi une formation militaire, il apparaît que très
peu, sinon aucune ne participe aux combats. Le plus souvent les filles font les travaux domestiques et sont utilisées pour
le sexe, surtout par les commandants... Beaucoup de filles restent « épouses » des supérieurs militaires,
même lors de retour des forces étrangères dans leur pays d'origine. Beaucoup d'autres basculent dans la prostitution pour
se prendre en charge et s'occuper de leurs enfants, abandonnés ou devenues veuves après la perte de leurs partenaires militaires »
(44).
3.6. DE LA PROSTITUTION.
Le récit
ci-après démontre la situation dramatique de la femme congolaise qui est confrontée à un dilemme kafkaïen pour sa survie et
celle de sa famille :
« Tumba
est une prostituée de 25 ans vivant à Bunia. « J'étais mariée à Beni quand j'avais 15 ans. Mon mari vivait de la mendicité,
et après avoir supporté cela pendant sept ans, je l'ai quitté il y a deux ans et suis revenue à Bunia. Je suis prostituée
depuis longtemps. Je n'ai pas de tarif fixe, mais j'accepte ce que l'on me propose – que ce soit entre 1$ US et 5$ US .
Je dois rencontrer les hommes dans les bars, mais je les amène chez moi. Je paie 5$ US de loyer par mois pour ma maison. Je
déteste la vie que je mène, j'ai essayé plusieurs fois d'arrêter, mais je n'avais pas d'argent pour payer mon loyer et acheter
des habits, alors je suis retombée dans la prostitution. J'espère qu'un jour je pourrai
avoir un autre emploi pour m'aider à survivre. J'ai vraiment peur du sida mais quel choix ai-je entre mourir de la faim aujourd'hui
et mourir du sida demain? » |
|
La crise
généralisée pousse les jeunes filles et même les mamans à se livrer à la prostitution. Le fléau est d'autant plus « florissant »
que les troupes armées présentes sur le sol congolais sont constituées des éléments bien rémunérés suite à la rentabilité
financière de cette guerre.
Il y a
lieu de relever que le phénomène « Rabat » et « Un » en rapport avec les troupes de la MONUC rentre dans
ce même contexte où les jeunes filles se livrent à la prostitution de façon éhontée. Et le métier de proxénète prospère (46).
À propos
de la généralisation de la prostitution (à Kisangani), le magazine catholique Afriquespoir cite les propos d'un observateur
en ces termes : « on voit les filles se rendre vers les camps militaires, cherchant un peu d'argent et surtout quelques
sachets de haricot, pour attraper le sida et puis mourir. Selon un expert (D.V.G), 80% des militaires ougandais sont séropositifs,
et les rwandais ne le sont pas beaucoup moins. Nous voyons la mort entrer dans la ville et dans le pays » (47).
3.7. SITUATION DES FEMMES ANIMATRICES
DES ORGANISATIONS SOCIALES
Selon le
Rapporteur spécial des droits de l'homme en RDC, la situation de cette catégorie de femmes est grave.
Il a constaté
des violations des droits d'association, d'expression, de réunion du droit à la vie, à l'intégrité physique et à la liberté
individuelle, commises à l'endroit des associations féminines et de leurs animatrices. Ainsi, pour le gouvernement, les ONG
servent les partis politiques et sont à la solde des pays agresseurs et de la rébellion, pour le RCD, elles seraient un regroupement
des partis politiques extrémistes (48).
Cette vision
à travers le prisme déformant des idéologies des uns et des autres explique le traitement réservé à la femme animatrice sociale
ou activiste des droits de l'homme par les deux principaux protagonistes de la guerre en RDC.
Relevons
quelques cas saillants :
§ Le 5 novembre 1999 : arrestation et détention de la sœur
Antoinette Farhi Nzigire qui s'occupait du dispensaire de la prison de Buluwo (Likasi) accusée de communiquer des informations
à l'étranger sur la situation médicale des détenus. Ses rapports avec Xavier Chiribanya Chirimwami, ancien
secrétaire particulier du commandant Masasu Nindaga auraient aussi justifiés son arrestation et sa consignation à Kinshasa
après l'assassinat en janvier 2001 du président de la République Laurent Désiré Kabila.
§ Deodale Chishibanji et Noella Mwavita Rugenge, représentantes
des organisations féminines du Sud-Kivu au sein de la société civile, déportées vers le Rwanda
avec d'autres personnes.
§ Françoise Nzibera et Willy Kibal (16/01/2000), battues, détenues
à Goma pour n'avoir pas révélé la cachette des femmes, membres de PAIF.
§ Jeannine Mukanirwa et Immaculée Birhaneka
(Goma 16/01/2000), arrêtées pour avoir assisté à une réunion de la société civile à Kinshasa. Le 12/12/2000, Mme Mukanirwa,
vice-présidente de PAIF sera arrêtée au Beach Ngobila de Kinshasa par la DEMIAP pour complicité avec le commandant
Masasu Nindaga.
§ Thérèse Mbakana (30/ 10/1999), arrêtée à Mbuji-Mayi (Aéroport
de Bimpemba), pour avoir transporté les écrits de l'ONGDH les Amis de Nelson Mandela pour les droits de l'homme (ANMDH), et
transférée à l'Agence nationale de renseignement (ANR) de Kinshasa.
§ Betsy Pichal et Tine Missine (07/02/2000), membres de l'ONG belge
NCOS, arrêtées à Matadi puis transférées à Kinshasa pour présomption d'espionnage.
§ Kasomo Mitheo (17/01/2000), responsable du Réseau femme et développement/Nord-Kivu,
assassinée à Nairobi. Son corps présentait des traces de violence perpétrée contre elle.
§ Le 08/03/1999: interdiction à Bukavu de la marche contre la violence
dont souffrent les femmes organisée à l'occasion de la Journée internationale de la femme au motif que les femmes projetaient
de marcher nues en signe de protestation. Par la suite, Marie-Jeanne Mbachu de la concertation des femmes oeuvrant à la base
fut interdite en avril 1999 de quitter le territoire pour « détention des documents séditieux et incitation des femmes
à la révolte. »
§ Le 08/03/2000, les organisations des femmes du Kivu devraient
organiser une journée sans femme au cours de laquelle, les femmes devraient rester à la maison, pleurer leurs maris et sœurs
morts et prier. A cette occasion, Zita Kavungirwa, du Réseau des femmes pour la défense des droits et la paix
fut interpellée à l'ANR puis accusée de « préparer un génocide ». Quant à Mme Mbachu, elle fut renvoyée de son travail
à la Coopération technique allemande (GTZ) sur ordre des autorités du RCD/Goma.
§ Le 09/10/2000 : plusieurs dirigeants de la société civile
et d'ONG parmi lesquelles Venantie Bisimwa, ont été arrêtés et roués de coups par des militaires du RCD dans la rue
puis conduits à la caserne Saïo pour s'être entretenus le 03/10/2000 à Goma avec la Haut Commissaire des
Nations Unies aux droits de l'homme, Mary Robinson.
§ Le 04/05/2000: des soldats du RCD ont brutalisé Mwita Mugenge
Noella, dirigeante d'organisation de base de Sud-Kivu, alors qu'elle rentrait de Kinshasa où elle avait participé à
la Consultation nationale organisée par les chefs de confessions religieuses de la RDC. Elle a eu deux
côtes cassées.
§ Le 05/05/2000 : Colette Kitoga, coordinatrice du Centre psychomédical CMM, a
été interrogée par les services de sécurité du RCD à son retour de Genève où elle avait assisté aux travaux de la 56e session de la Commission des Nations Unies pour les droits de l'homme. Elle s'est
vue confisquer son passeport pour avoir voyagé sans autorisation.
4. FEMME CONGOLAISE, FACILITATRICE DE
LA PAIX
Le modèle
de processus de paix en cours actuellement est loin de contribuer à l'avènement d'une société restaurée et expurgée de violence
(psychologique, morale, latente ou manifeste) et de rancœur que cette situation dramatique de la femme peut engendrer.
C'est avec
raison que la Directrice exécutive de l'UNIFEM, Noëleen Heyzer déclarait que « dans la plupart des cas, ce sont les mêmes
hommes qui participent à la guerre et qui prennent ensuite la décision de mettre fin au conflit et pourtant ce sont les femmes
qui doivent dispenser des soins aux victimes de la guerre, sur les plans tant psychologique que physique. Comment se fait-il
que nous invitons les seigneurs de la guerre à la table des négociations et non pas les femmes ».
Ainsi,
nous constatons que la femme est absente de toutes les négociations menées dans le cadre de la résolution pacifique de la
guerre en cours et pourtant, c'est elle qui en paie le lourd tribut (49).
Le Secrétaire
général des Nations Unies affirme non sans raison que « les femmes sont souvent mieux à même que les hommes de prévenir
ou de résoudre un conflit parce qu'elles en connaissent le prix, sont des éducatrices de paix depuis des générations préservant
l'ordre social quand des communautés entières s'effondrent sous le poids des conflits » (50).
Sur le
chemin de retour à la paix en RDC, les protagonistes ont besoin de se faire accompagner de la femme comme partenaire pour
la paix. Le préalable pour rendre la participation de la femme efficiente au processus de paix reste sa réhabilitation en
tant que membre à part entière de la société et mère, porteuse d'espérance et de vie de toute la société.
Il y a
lieu dès lors de réaliser les actions suivantes :
§
Sur le plan répressif :
·
Identifier les femmes et filles victimes des
actes de violence ;
·
Identifier les auteurs présumés de ces violences
liées au genre ;
·
Traduire et punir les auteurs pour crimes de
guerre et crimes contre l'humanité ;
·
Etablir les règles de poursuite et les instances
judiciaires spéciales (sur le plan national et international) ;
·
Mettre en place des mécanismes de la justice
réparatrice en vue de rétablir la femme dans ses droits au sein de sa communauté alors restaurée.
§
Sur le plan médical et psychosocial :
·
Assurer l'encadrement psychosocial des victimes :
o
Permettre à la femme victime de retrouver un
certain équilibre personnel nécessaire à sa réintégration au sein de sa communauté ;
o
Permettre aux déplacées de rentrer dans leurs
foyers pour retrouver la vie normale.
·
Assurer une prise en charge médicale :
o
Mener des campagnes de dépistage des séquelles
physiques des violences notamment les MST dont le VIH/sida.
o
Procurer des soins appropriés, à titre d'assistance
humanitaire aux victimes ayant contractées des maladies de suite des violences physiques surtout à celles qui ont été contaminées
au VIH/sida
§
Sur le plan d'appui institutionnel :
·
Tous les partenaires sociaux (publics, ou privés,
nationaux ou internationaux) devront travailler pour le changement de la situation de la femme par :
o
Le renforcement des capacités des groupes de
travail sur les violences faites aux femmes pour les rendre plus aptes à faire face à ces phénomènes déshumanisants ;
o
L'appui au partenariat
stratégique entre les ONG spécialisées et les organisations de médias publics ou privés. (Il s'agit là du credo de l'UNIFEM
qui est fort à propos pour le cas de la RDC) ;
o
Le renforcement des
capacités des femmes (formation, sensibilisation, éducation).
5. CONCLUSION
Que conclure
sinon que le drame que vit la femme congolaise est loin de se terminer dans un contexte général caractérisé par des violences
multiformes exercées à son égard par toutes les forces belligérantes. Elle devient une victime expiatoire tant elle n'a pas
un tribune d'expression, bâillonnée par les intérêts des protagonistes, réduite au silence par les coutumes millénaires.
Que devient
alors la société congolaise sans cette mère qui l'a conçue, engendrée et éduquée ? Une entité sans repaire, et sans avenir.
Il est
temps que le Congolais (et son ami étranger ) se ressaisisse et donne à sa mère l'honneur et la place qui lui convient en
tant que facilitatrice de la paix, consultée non plus seulement de nuit, mais aussi de jour.
C'est à
ce prix que les accords de paix, les négociations politiques inter congolaises peuvent engendrer des mécanismes susceptibles
de conduire la RDC à la paix durable et véritable.
Ceci vaut
aussi pour les autres états de la « Région des Grands Lacs » africains.
ANNEXE 1 : CRI DU CŒUR DES MAMANS
Face à
l'exacerbation de leurs souffrances du fait de la guerre, les mamans de la Province du Sud Kivu ont lancé, le 28 février 2000
à Bukavu, un cri de détresse pour réclamer l'intervention de tous pour le retour à la paix en RDC et la fin de leur calvaire.
Ce document exprime les sentiments qui animent toutes les femmes congolaises face à la tragédie leur imposée par cette guerre
venue d'ailleurs.
« ... Ici
chez nous, voilà déjà quatre années de guerre. Des vies humaines par milliers ont péri, des familles entières ont été exterminées,
toute la société, du côté de celui qui tue comme de celui qui est tué, se retrouve aujourd'hui minée. Personne donc ne peut
prétendre y gagner. Car, même s'il amasse de l'or, du coton, de la cassitérite, du diamant et beaucoup d'autres biens, rien
de tout cela ne voudra son prochain qui est tué. Et pourtant, nous en voyons qui cultivent la haine pour récolter la mort.
Que gagnent-ils ?
Nul n'ignore
la charge familiale qui repose sur les mamans aujourd'hui. Les villages sont déserts, plus de récolte. A cause des déplacés
de guerre, des familles sans revenu aucun, hébergent des dizaines de frères et sœurs fuyant les hostilités, les tueries
à Bunyakiri, Kalonge, Burhale, Ninja et Kamituga... et les méchants ne se fatiguent pas. Ils ont décuplé les taxes pour
acheter les armes et nourrir les troupes étrangères venues pour tuer et ils demandent qu'on les applaudisse et qu'on continue
à leur donner le peu qui nous reste.
Trop c'est
trop ! Nous les mamans, nous sommes fâchées, exacerbées, ne nous rendez pas désagréables. Nous payons le prix fort de
cette sale guerre : veuvage prématuré, viols et violence, poids économique d'une famille dont le chef (mari) ne reçoit
plus aucun salaire depuis belle lurette...
Chères
mamans, il y a quelqu'un quelque part qui veut gagner dans le bain de sang chez nous, il parle de « la haine ethnique », «
du nouveau génocide », « des machettes » et il veut faire endosser tout cela sur les justes. L'oppresseur qui tient le fusil
en mains veut se faire passer pour la victime, alors qu'il sait qu'aucun d'entre nous n'est armé. Ce mensonge est destiné
à ceux qui ne connaissent pas la barbarie de ceux qui nous occupent. Ne nous laissons pas tromper et attraper, ne les suivons
pas.
Nous gagnerons
par la NON VIOLENCE et la détermination. Refusons les manipulations. Rejetons les propos ethnicistes à la mode dans certains
pays voisins et les pratiques contraires à la culture congolaise et chrétienne, empreinte d'hospitalité et de solidarité.
Engageons-nous plutôt pour le bien suprême : L'AMOUR DE DIEU ET DU PROCHAIN.
Toutefois,
restons fermes, déterminées et unies pour décourager toute contribution au mal. Conseillons nos maris et nos fils. Ne nourrissons
pas les tueurs. Ne leur donnons aucun sou, ni au marché, ni ailleurs. Et surtout, prions pour eux afin qu'ils se convertissent.
Et puisque
les armes à la main, avec toutes les formes d'intimidation, on veut nous amener au mal, à faire le mal, le temps est venu
d'appeler, sans plus tarder, au secours avant que le pire n'arrive.
Que le
président des états-Unis d'Amérique,
Que tous
les chefs d'état des nations européennes,
Que les
responsables des Nations Unies et de l'Organisation de l'Unité africaine,
Que la
communauté internationale,
Que les
présidents des pays complices dans la guerre au Congo,
Que les
marionnettes du RCD,
Que le
président de la République démocratique du Congo,
Que tous
les acteurs dans cette guerre absurde...
Que tous
sachent que, enfin, les mamans et leurs filles lancent ce dernier cri, elles n'en peuvent plus. Si vous ne voulez pas intervenir,
reconnaissez-vous tous sanguinaires, si vous tenez à gagner le bain de sang au Sud-Kivu, ne tardez plus à venir car trop c'est
trop et vous nous trouverez nombreuses.
Sinon,
intervenez avec les moyens qui les vôtres et
pour nous.
Finissez la guerre au Congo.