LETTRE D'EVE
                                              
                                             Vagina Warrior statement
                                              
                                             J'ai passé du temps avec des femmes dans des usines surpeuplées
                                             à Juarez, dans des abris en ruines dans des petites rues du Caire, dans des centres d'hébergement précaires pour les filles
                                             et les femmes à Jérusalem, Johannesburg, Pine Ridge et Watts, dans des résidences à Hollywood, dans des abris incendiés au
                                             Kosovo et à Kaboul, dans le Bus des Femmes une nuit avec des filles victimes du traffic des êtres humains à Paris. Parfois
                                             ces rencontres ont duré des heures, avec une fille bulgare de 17 ans victime de l'esclavage moderne, nous avons passé 35 minutes
                                             ensemble avant que son mac ne vienne la rechercher. J'ai entendu des bouleversants récits de violences - viols de guerre,
                                             viols par des gangs, viols lors de rendez-vous, viols "autorisés", viols en famille. J'ai vu de mes yeux les marques de ces
                                             brutalités - yeux au beurre noir, brûlures de cigarettes dans les bras et les jambes, visages tuméfiés, hématomes, coups et
                                             fractures. J'ai vu des femmes privées de ce qui est fondamental dans la vie : le ciel, le soleil, un toit, de la nourriture,
                                             une famille, un clitoris, la liberté. Je suis allée là où des cranes et des corps mutilés de femmes nues ont été découverts
                                             dans des charniers. J'ai vu le pire. Le pire vit dans mon corps. 
                                             Mais partout j'étais entourée, transformée et transportée
                                             par une guide, une visionnaire, une activiste, une extraordinaire combattante et rêveuse. J'en suis arrivée à reconnaître
                                             ces femmes (et parfois ces hommes) comme des "Vagina Warriors" ou "Guerrières du Vagin".
                                              
                                             C'était Zoya qui la première m'a emmenée dans la boue des
                                             camps afghans au Pakistan; Rada qui me traduisait les histoires des femmes réfugiées alors que nous voyagions au milieu de
                                             la Bosnie en guerre; Igo qui faisait des plaisanteries à propos des champs de mines quand nous roulions à toute allure dans
                                             sa jeep sur les routes autour de Pristina au Kosovo ; Esther qui m'a conduite sur les tombes marquées de croix roses à Juarez
                                             au Mexique ; Agnes qui marchait avec moi sur la piste avec des filles Massaï qui dansaient et chantaient habillées en rouge,
                                             célébrant l'inauguration de leur premier refuge V-Day pour les filles qui veulent échapper aux mutilations génitales des femmes.
                                              
                                             D'abord j'ai pensé que c'était juste un groupe spécifique
                                             de femmes qui avaient été violées ou qui avaient été les témoins de tellement de souffrances qu'elles n'avaient qu'un seul
                                             choix possible : l'action.  Mais après cinq années de voyages et quarante pays
                                             visités, un modèle était apparu, une espèce se développait. Les " Vagina Warriors " sont partout. Dans une époque de violence
                                             grandissante et permanente sur cette planète, ces femmes sont en train de développer un nouveau comportement.
                                              
                                             Bien que les "Vagina Warriors" soient profondément originales,
                                             elles possèdent quelques caractéristiques en commun :
                                             Elles sont ardentes, obstinées et ne peuvent êtres contrôlées
                                             ni arrêtées.
                                             Elles ne sont plus soumises à des traditions sociales ou
                                             paralysées par des tabous.
                                             Elles n'ont pas peur de la solitude, du ridicule ou des attaques.
                                             Elles sont toujours partantes pour faire face à tout ce qui
                                             porte atteinte à la sécurité et à la liberté des autres.
                                             Elles aiment danser.
                                             Elles sont portées par une vision et non gouvernées par une
                                             idéologie.
                                             Elles sont citoyennes du monde.
                                             Elles chérisssent l'humanité au delà de la nationalité.
                                             Elles ont un sacré sens de l'humour. Une activiste palestinienne
                                             plaisantait avec un soldat israelien qui la menacait de son fusil alors qu'elle tentait de passer le checkpoint. Elle l'a
                                             littéralement désarmé avec son humour.
                                             Les "Vagina Warriors" savent que la compassion est la forme
                                             la plus profonde de la mémoire.
                                             Elles savent que les châtiments n'améliorent pas le comportement
                                             des êtres violents.
                                             Elles savent qu'il est beaucoup plus important de donner
                                             un espace où le meilleur puisse arriver plutôt que de "donner une leçon aux gens".
                                             J'ai rencontré une militante extraordinaire à San Francisco,
                                             une ancienne prostituée qui avaient été violée enfant. En travaillant avec le système correctionnel elle a imaginé un atelier
                                             thérapeuthique où les souteneurs et les macs condamnés par la loi pouvaient partager leur solitude, leur insécurité et leur
                                             tristesse.
                                             Les "Vagina Warriors" ne veulent plus être appelées "victimes".
                                             Elles savent que personne ne vient les secourir. Elles ne
                                             voudraient pas être secourues.
                                             Elles ont connu la rage, la dépression, le désir de revanche
                                             et elles ont transformé tout cela dans la souffrance et la solidarité. Elles ont été confrontées à la profondeur de leur désespoir.
                                             Elles vivent dans leurs corps.
                                             Elles créent des communautés.
                                             Les "Vagina Warriors" ont une vive capacité à vivre avec
                                             le concept d'ambiguité. Elles peuvent développer deux pensées existantes et opposées en même temps. J'ai pour la première
                                             fois reconnu cette qualité pendant la guerre en Bosnie. J'étais en train d'interviewer une activiste musulmane dans un camps
                                             de réfugiés, son mari avait été décapité par un Serbe. Je lui ai demandé si elle haïssait les Serbes. Elle m'a regardé comme
                                             si j'étais folle. "Non, non, je ne hais pas les Serbes," disait elle, "Si je haïssais les Serbes alors les Serbes auraient
                                             gagné".
                                             Les "Vagina Warriors" savent que le processus de guérison
                                             est long et se fait par étapes.
                                             Elles donnent ce dont elles ont le plus besoin et en donnant
                                             cela elles guérissent et activent leur intimité blessée.
                                             Beaucoup de "Vagina Warriors" travaillent dans les populations
                                             rurales.
                                             Parce que ce qui est fait aux femmes est souvent fait dans
                                             l'isolement et reste caché, les "Vagina Warriors" travaillent pour rendre visible l'invisisble. Mary à Chicago se bat pour
                                             les droits des Femmes de Couleur pour qu'elles ne soient pas maltraitées ou négligées ; Nighat a risqué la lapidation et l'humiliation
                                             publique au Pakistan en produisant LES MONOLOGUES DU VAGIN à Islamabad pour que les récits et les passions des femmes ne restent
                                             pas tues ; Esther veille à ce que les centaines de filles qui disparaissent à Juarez soient honorées pour qu'on ne les oublie
                                             pas.
                                              
                                             Pour les Indiennes d'Amérique, une guerrière est celle dont
                                             la responsabilité principale est de protéger et préserver la vie. La lutte pour mettre fin à la violence sur cette planète
                                             est une bataille.
                                             Emotionnelle, intellectuelle, spirituelle, physique. Cela
                                             demande de la force, du courage, de l'ardeur. C'est parler haut et fort quand tout le monde nous dit de nous taire. C'est
                                             s'engager pour tenir les criminels responsables de leurs actions. C'est honorer la vérité au péril d'y perdre sa famille,
                                             son pays et ses amis. C'est développer le muscle spirituel pour survivre à la souffrance amenée par la violence et, dans ce
                                             dangereux espace de l'inconscient, inviter la profonde sagesse.
                                              
                                             Comme les Vagins, les Guerrières sont l'axe central de l'existence
                                             humaine, mais elles restent largement mésestimées et cachées. Cette année V-Day célèbre les "Vagina Warriors" à travers le
                                             monde, et ce faisant nous honorons ces femmes, ces hommes et leur travail. Dans chaque communauté il y a des militants anonymes
                                             travaillant chaque jour, pas à pas, pour lutter contre la violence. Ils vont aux chevets des malades dans les hopitaux, font
                                             passer de nouvelles lois, chantent des mots tabous, rédigent des textes, collectent de l'argent, défilent et manifestent dans
                                             les rues. Elles sont nos mères, nos filles, nos soeurs, nos tantes, nos grands mères et nos meilleures amies. Chaque femme
                                             a en elle une guerrière qui attend son heure pour venir au monde. Pour garantir un monde sans violence, dans ces temps de
                                             danger et de folie croissante, nous vous pressons de venir au monde.
                                              
                                             CELEBRER LES "VAGINA WARRIORS". QU'ELLES SOIENT HONOREES ET MISES EN
                                             LUMIERE. LAISSONS LES NAITRE NOMBREUSES.
                                              
                                             Eve ENSLER,
                                             fondatrice et directrice artistique de V-Day,
                                             auteure des MONOLOGUES DU VAGIN